Eric Togonal se faire plaisir au travail

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Barre de recherche Google : “girouettier”. Je clique sur Google Image car je cherche un objet unique, insolite, intemporel et que l’on transmette de génération en génération. Je scrolle. Je découvre quelques photos intéressantes dont celles du blog de Thierry, girouettier de passion. Je navigue sur le web, je cherche encore (oui, on pourrait y passer des heures) et je découvre Eric Togonal. Violoncelliste, sérigraphe et maintenant photographe, il est animé par les plaisirs simples de la nature et les mains baladeuses des artisans. Portrait !

Qui êtes-vous Eric Togonal ?

Né dans une famille d’artistes et d’artisans, depuis ma plus tendre enfance j’ai été fasciné par le matériel photographique, sans pouvoir me l’expliquer. Boîtiers et objectifs me semblaient comme le moyen de découvrir le monde. Dès l’âge de trois ans, j’adorais me promener seul dans la forêt. À dix ans, une rencontre avec un peintre sculpteur avait définitivement changé ma façon de voir ce qui nous entoure.

Les dépenses que représentaient les tirages argentiques freinaient mes ardeurs, je me contentais donc de quelques photos souvenirs. C’est avec l’avènement du numérique que j’ai décidé de franchir le pas en achetant mon premier boîtier professionnel en 2010. Diplômé de conservatoire (violoncelliste), ayant donc grandi dans l’exigence qu’implique toute discipline artistique, j’étais parti du principe qu’avec un bon équipement, je n’aurai pas l’excuse d’être limité par les possibilités techniques propres à mon boîtier. Cela induit une remise en question permanente. Je m’adonne depuis à la photo animalière avec une passion grandissante.

Après avoir été sérigraphe, l’heure de la reconversion professionnelle a sonné en 2013.

À cinquante ans passés une question cruciale s’était posée : vais-je chercher un emploi pour des raisons purement alimentaire, ou vais-je – enfin – me faire plaisir en travaillant. J’ai choisi la deuxième option.

Avant même qu’il en soit question, curieusement, j’avais rencontré des artisans en leur faisant part d’un projet personnel : les mains au travail, durant l’acte de création. En lisant l’annonce d’un concours photo ayant pour thème “Le Geste et l’Outil”, j’ai pensé qu’il s’agissait d’un thème pour moi ; et j’ai été récompensé par un premier prix avec la main du peintre.

Parallèlement, j’ai adressé une proposition à la revue Nat’Images, et mon article sur la Forêt de la Robertsau – sur deux pages – a été accepté. Je me suis donc ouvert une porte comme pigiste. Inutile de dire à quel point ces deux événements m’ont stimulé. Depuis je multiplie les expositions.

Quels sont vos sujets de prédilection pour la photographie ?

C’est un lieu commun d’affirmer que la nature est une source inépuisable d’émerveillement. Quiconque ne s’est jamais assis ne serait-ce qu’un quart d’heure sur un tronc, en silence, sans téléphone, contemplatif, ne peut se rendre compte de ce qu’il rate. Il faut croire que le silence effraie… Il reste pour moi le moyen d’infinies découvertes. La nature ne s’offre pas comme ça : elle a sa pudeur qu’il faut respecter.

Peut-être s’agit-il d’un retour aux sources, et qu’un jour je redécouvrirai ce que je vivais à trois ans. Mais au moment le plus difficile de ma vie, la nature m’a été d’un bienfait que je ne soupçonnais pas. Aussi, partager sa beauté nous libère de cet afflux d’images violentes et déprimantes que nous recevons au quotidien. Seule la beauté est source de bonheur, et la Beauté, c’est l’éclat du Vrai.

Il m’arrive d’assister à des scènes savoureuses, comme ces deux écureuils qui jouent et se parlent ; un seul cliché réussi, mais j’ai préféré éviter tout geste qui aurait pu les perturber.

J’aime aussi les artisans, car ils sont des créateurs et ne demandent qu’à susciter des vocations. Ils sont des révélateurs de talents.

De plus la nature les inspire beaucoup, c’est souvent la matière qui, par ses propriétés impose une technique, un tour de main, oblige à créer l’outil et le geste qui permettront une réalisation.

Par exemple il ne saurait y avoir deux violons parfaitement identiques, c’est le bois qui dicte sa loi, ou s’exprime différemment selon sa structure. Le luthier ne peut que s’adapter.

Aussi, imaginez un seul instant un monde sans artisan capable de répondre à votre sensibilité, ou tout simplement de restaurer un bien qui vous est indispensable !

A côté d’autres sujets, je réalise aussi des tableaux, que j’appelle photographies picturales. En mode totalement manuel – à l’ancienne – je dépose les couleurs et les formes sur mon capteur par des mouvements et en “jouant” avec l’objectif. Le but est de créer de nouveaux paysages, et qu’ils ne soient pas des effets du seul hasard ; donc une certaine technique doit être de rigueur. Parfois je tombe en arrêt devant une plante, et me laisse emporter par ce que je ressens, tout en ayant clairement et d’emblée à l’esprit le mouvement qui créera une nouvelle forme, de nouvelles couleurs.

Qu’est-ce qui vous intéresse chez les artisans : le geste, l’outil, la machine, l’homme ?

Ce qui me touche dès le premier contact est leur expérience humaine : immense, touchante ; comme leur esprit très ouvert. Notons que pour la plupart il s’agit de reconversion professionnelle. Nous nous comprenons.

Observer un artisan en plein travail, c’est participer à un voyage vers l’inconnu particulièrement exaltant, parfois hors du temps.

Travailler la matière, c’est en découvrir les particularités invisibles. L’artisan les découvre, s’adapte, corrige, et invente l’outil, le geste, la posture, ou crée une nouvelle forme. Le regard du photographe peut être prépondérant à bien des égards, mais j’aime susciter des questions. Lorsque je dis que la main du peintre est celle d’un homme, et celle de la sellière maroquinière celle d’une femme, l’étonnement se lit sur bien des visages. La subtilité d’un geste doit-elle être synonyme de féminité, la force de virilité ?

La force, la matière et l’outil façonnent la main, et notre main se lit comme un paysage ou un visage. Nous sommes marqués par la vie, les mains par le métier. Nos rides ne font-elles pas notre charme ?

Comment menez-vous vos séances avec les artisans ?

Au moment de présenter mon projet, je les écoute. “Parle-moi de mes outils”, me dit Odile, la sellière maroquinière. Je crois qu’ils perçoivent mon amour et mon infini respect pour ce qu’ils font, et pour ce qu’ils sont. Autant j’admire un portraitiste qui approche son objectif à trente centimètres de votre visage et parvient à capter votre personnalité, autant je ressens le besoin de ne pas être invasif, comme avec les oiseaux ; aucune pose, ni interruption, ni lumière artificielle. Je les laisse travailler.

Ils intègrent que le temps passé n’a aucune importance, que je reviendrai autant de fois que nécessaire si je ne suis pas satisfait. N’ayant aucune obligation de résultat, ils finissent par se concentrer totalement sur leur travail. Je m’adapte à leurs contraintes, jouant les contorsionnistes. À force d’observation, de compréhension du geste, je finis par savoir anticiper et à me tenir prêt à cette rencontre avec le geste, l’attitude, ou les réactions de la matière. Mais je ne décide nullement de l’instant.

Quels métiers rêveriez-vous de photographier ?

Les horlogers, les facteurs d’orgue, de clavecins, les luthiers. Cependant je me laisse porter par les  rencontres, par la personnalité d’un artisan et naturellement par ses créations. Je veux que ma spontanéité demeure intacte, comme mon regard d’enfant.

Merci à Eric d’avoir pris le temps de répondre à mes questions. Si vous habitez en Normandie, sachez qu’il y aura une exposition de ses photographies “Mains d’Artisans – Mains d’Artistes”, du 2 avril au 8 mai 2016, au Parc Naturel du Perche, dans le Manoir de Courboyer. Vous pourrez également le rencontrer lors des Journées Européennes des Métiers d’Art.

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J'ai le plaisir de vous faire découvrir les savoir-faire français au travers de mes reportages et interviews. Je me laisse porter par ce que m'inspirent mes rencontres, mes échanges. J'adore les vieilles boites, qui ont de belles anecdotes à raconter. J'aime le subtile mélange entre tradition et modernité ! J'apprécie l'engagement des hommes et des femmes qui ont décidé de fabriquer en France...

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