Perle rare : une visite dans la Maison Simon & Simon

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« Tout art est une imitation de la nature ». Vous en conviendrez, pour ce nouveau reportage je pars sur de bonnes bases : je suis d’accord avec SEnèque et Ce NEst QUE le début (d’humeur et d’humour philosophique aujourd’hui) ! Tout le monde connait la perle en nacre et la perle de culture mais avez-vous déjà entendu parler de perle artisanale d’imitation ? Je vous invite à entrer faire un petit crochet par Bayonne (le Béarn et le Pays basque sont voisins) dans les coulisses de la maison Simon & Simon pour en savoir plus.

La perle d’imitation : une tradition française

La reproduction de perles naturelles est une vieille histoire qui remonte au 17ème siècle ! Il était une fois (1686 pour être précis) un certain Jacquier, péchant paisiblement sur les bords de Seine sous un ciel exceptionnellement bleu… Surpris par l’éclat des écailles d’ablettes (un poisson excellent en friture ceci dit en passant – ajouter du persil et 1L d’huile d’arachide pour 800g d’ablettes que vous laisserez frire 3 minutes, et vous obtiendrez un bon plat facile à cuisiner ) il songea à les utiliser pour fabriquer des perles (une idée lumineuse). Mais ne vous y trompez pas, les méthodes de fabrication de l’époque n’ont rien à voir avec les perles fabriquées par Nathalie.
Les premières perles d’imitation étaient des bulles de verre garnies d’une mixture d’écailles et de cire, « l’essence d’orient » terme toujours utilisé aujourd’hui pour parler de l’enduit nacré. En lisant un extrait de Marthe, histoire d’une fille je n’imagine même pas les délicieuses odeurs qui devaient friser les narines des ouvrières des ateliers. Extrait qui me fait penser au Parfum de Patrick Süskind : Marthe gagnait alors, comme ouvrière en perles fausses, un salaire de quatre francs par jour, mais le métier était fatigant et malsain et souvent elle ne pouvait l’exercer. L’imitation de la perle se fabrique avec les écailles de l’ablette, pilées et réduites en une sorte de bouillie qu’un ouvrier tourne et retourne sans trêve. L’eau, l’alcali, les squames du poisson, le tout se gâte et devient un foyer d’infection à la moindre chaleur, aussi prépare-t-on cette pâte dans une cave. Plus elle est vieille, plus précieuse elle est. On la conserve dans des carafes, soigneusement bouchées, et l’on renouvelle de temps à autre le bain d’ammoniaque et d’eau. Comme chez certains marchands de vins, les bouteilles portent la mention de l’année où elles furent remplies; ainsi la purée septembrale, cette purée qui luit, se bonifie avec le temps. À défaut d’étiquettes, on reconnaîtrait d’ailleurs les jeunes flacons des vieux, les premiers semblent entamés de gris-noirs, les autres semblent lamés de vif-argent. Une fois cette compote bien dense, bien homogène, l’ouvrière doit, à l’aide d’un chalumeau, l’insuffler dans des globules de verre ronds ou ovales, en forme de boules ou de poires, selon la forme de la perle, et laver le tout à l’esprit-de-vin, qu’elle souffle également avec son chalumeau. Cette opération a pour but de sécher l’enduit; il ne reste plus dès lors, pour donner le poids et maintenir le tain du verre, qu’à faire égoutter dans la perle des larmes de cire vierge. Si son orient est bien argenté de gris, si elle est seulement ce que le fabricant appelle un article demi-fin, elle vaut, telle quelle, de 3 francs à 3 francs 50. Marthe passait donc ses journées à remplir les boules et, le soir, quand sa tâche était terminée, elle allait à Montrouge, chez le frère de sa mère, un ouvrier luthier, ou bien rentrait chez elle et, glacée par la froideur de ce logement vide, se couchait au plus vite, s’essayant à tuer par le sommeil la tristesse des longues soirées claires. Joris-Karl Huysmans, Marthe, histoire d’une fille, 1876


En 1906, JP. Paisseau (un autre frenchy) a l’idée d’utiliser les vernis cellulosiques qui viennent d’apparaitre pour créer les premières perles recouvertes d’un nacrage bien plus solide. C’est cette technique qui est encore utilisée aujourd’hui. Nouveau procédé, nouvelle ère, véritable filière française… protégée jusqu’à ce que les brevets tombent et que cette production commence à être réalisée dans d’autres pays comme l’Espagne, la République Tchèque ou la Chine !





Et pourquoi diable a-t-on inventé la perle d’imitation ?

Pourquoi diable a-t-on inventé la perle d’imitation alors qu’il existe des perles en nacre naturelles et des perles de culture ? Nathalie nous explique cela simplement :

  • la production d’une perle naturelle est aléatoire : le petit grain de sable fait naitre une perle mais laquelle ? Quelle taille ? Quelle couleur ? Dans combien de temps ? Avec quelle régularité ?
  • la production d’une perle de culture est couteuse et les caractéristiques de la perle sont moins satisfaisantes que la perle d’imitation.
  • la fabrication artisanale d’une perle d’imitation est contrôlée, non aléatoire, la précision inégalable et les qualités physiques incontestées. Oui mais comment est-ce possible ?


La Maison Simon & Simon

La Maison Simon & Simon est l’héritière de cette tradition française et c’est une belle histoire familiale pleine de rebondissements que nous avons aussi découvert lors de cette visite. L’histoire commence avec Telesphore Simon en 1867, vendeur de bijoux dans les plus grandes expositions internationales. Edouard son fils et meilleur artisan de France, prolonge ce commerce en ouvrant un atelier dans le Lot où la perle nacrée BELLA (rien à voir avec la poupée) est produite. Comme à chaque fois, la 2nde guerre mondiale vient changer l’ordre des choses. Guy est déporté, son fils reprend l’atelier et innove : sur les ports de Saint-Jean-de-Luz et d’Hendaye, il s’intéresse aux pigments naturels des écailles de poisson qui deviennent sa matière première. L’atelier est alors déménagé à Bayonne et Guy élabore ses fameux vernis « essence d’orient », produit des perles artisanales qu’il vend à des bijoutiers et paruriers parisiens. On sent dans les explications de Nathalie que Guy a été un sacré personnage :

  • avant-gardiste : ses vernis sont sans sel de plomb et il fait même voter un arrêté ministériel dans ce sens
  • ingénieux et bricoleur : il a inventé et réalisé toutes les machines qui servent à produire les perles artisanales (et qui sont encore utilisées par Nathalie)
  • excellent commercial : dans les années 70 et 80, de belles collaborations sont initiées avec des grandes marques de luxe comme Christian Dior et Chanel.


La visite dans les coulisses de la maison Simon & Simon

Nathalie nous a invités dans son atelier afin de nous expliquer comment on imite artisanalement des perles en nacre : de la perle en verre provenant de fournisseurs soigneusement sélectionnés à la perle imitée, dont on ne pourrait dire si c’est une vraie perle ou pas, de nombreuses étapes minutieuses sont à suivre. Nathalie maitrise parfaitement ce savoir-faire familial ce qui lui a permis de développer une variété incroyable de perles : camaïeux de couleurs et variations dans les tailles des perles artisanales !

Dans un quartier résidentiel de Bayonne, l’atelier est blotti à côté de la maison familiale, au fond d’un grand jardin verdoyant. Nathalie est chic, classe mais on sent en elle une pointe de folie. Son regard pétille, sa voix est rythmée par la passion qui l’anime ! Sous le soleil basque qui nous réchauffe le dos, elle nous explique l’histoire de la maison Simon & Simon puis nous guide dans l’atelier. Nous commençons par un petit cours sur les perles en verre et les différentes formes que l’on peut trouver : ronde, semi ronde, baroque, goutte, cerclée, bouton… On se croirait dans une mercerie de la perle transparente. Puis nous entrons dans une petite pièce qui sent le vernis à plein nez. On a l’impression d’être immergé dans un flacon de vernis, comme un coton imbibé de dissolvent… mais on ressort imprégné par cette magie des couleurs, par ce savoir-faire que je qualifierai d’improbable.



La production de perles se fait bien évidemment en série : on enfile les perles sur des réglettes avant de les tremper dans « l’essence d’orient » de la couleur de son choix. Cette pâte épaisse est réalisée à partir de poudre d’écailles de poisson. Il n’y a pas un poisson spécifique pour fabriquer cette poudre (Nathalie ne commande pas de la poudre de loup ou de la poudre de rouget par exemple). Elle nous parle des difficultés qu’elle rencontre pour s’approvisionner en matière première : les océans sont pollués et la production de cette matière première se fait rare (qui achète de la poudre d’écailles de poisson franchement ?). En France, plus aucune entreprise ne produit de la poudre d’écailles donc elle est obligée d’acheter cela à l’étranger.

La pâte visqueuse est entreposée là précieusement. Elle repose dans des dizaines de bacs et elle ne demande qu’à briller de mille feux. Nathalie nous fait de jolies démonstrations afin de bien nous faire comprendre son savoir-faire. Le clou du spectacle est bien évidemment lorsqu‘elle mélange certains bacs « d’essence d’orient » pour nous montrer cet arc-en-ciel de couleurs qui remontent à la surface. La compotée semble douce, soyeuse et on a bien envie d’y tremper un doigt, juste comme cela, pour rien, pour le plaisir de toucher, de mélanger ! Les noyaux (perles en verre ou en résine) sont trempés à plusieurs reprises, dans différents bains, pendant des durées différentes. Le processus peut durer 5 à 6 jours afin d’obtenir la couleur voulue. Là sont les secrets de fabrication de la maison et parfois, pour une nouvelle couleur, de nombreux essais seront nécessaires afin d’arriver au résultat attendu. Puis, les perles sont séchées et la difficulté de l’exercice réside dans la régularité de la perle produite. Elles sont ensuite décrochées de la réglette (autre difficulté car il ne faut pas laisser le petit trou), nettoyées, contrôlées puis stockées ou montées en bijoux (la maison fait maintenant des bijoux).

Je finirai par une note un peu kitch mais qui ne fait de mal à personne : « la sincérité est la perle qui se forme dans la coquille du cœur » (proverbe Soufi). J’espère vous avoir donné envie d’aller faire un tour dans le pays basque afin d’y découvrir notamment ce fabuleux savoir-faire. Merci à Nathalie pour son accueil et le partage de son savoir-faire d’exception ! Quand on vous dit que la France a encore bien des secrets à nous dévoiler… N’hésitez pas vous aussi à nous donner vos bonnes adresses dans le coin. Voici les nôtres (lien vers article Biarritz).

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J'ai le plaisir de vous faire découvrir les savoir-faire français au travers de mes reportages et interviews. Je me laisse porter par ce que m'inspirent mes rencontres, mes échanges. J'adore les vieilles boites, qui ont de belles anecdotes à raconter. J'aime le subtile mélange entre tradition et modernité ! J'apprécie l'engagement des hommes et des femmes qui ont décidé de fabriquer en France...

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